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Timothée Adolphe, le guépard blanc

Timothée Adolphe et son guide Jeffrey Lami lors des championnats du monde 2023. Crédit photo : Florent Pervillé. 

PORTRAIT 7/10. À un an des Jeux Paralympiques Paris 2024, qui se dérouleront du 28 août au 8 septembre, Vies de Famille vous propose de découvrir le portrait de 10 athlètes handisport inspirants.

Il a une personnalité et un franc-parler à nul autre pareil. Son histoire difficile lui a forgé un mental d’acier. Atteint d’un glaucome congénital à la naissance, Timothée Adolphe voit très mal d’un œil. Des accidents de la vie finiront par lui ôter complètement la vue à l’âge de 19 ans. Ce qui ne lui enlèvera pas son envie irrépressible de pratiquer l’athlétisme à un haut niveau. Il nous raconte son parcours.


Vies de famille : Sur les pistes depuis l’âge de 10 ans chez les valides, comment vous est venue la passion de l’athlétisme ?

Timothée Adolphe. Très jeune, je voulais faire du basketball, car j’étais plutôt bon au shoot. Mais avec ma déficience visuelle, je n’étais pas capable de réceptionner une balle en passe aérienne, alors le club n’a pas voulu m’intégrer dans l’équipe. J’ai tenté ma chance au judo, puis en natation, mais aucun coach n’a voulu prendre le temps avec moi. Pourtant, j’avais de l’énergie à revendre ! C’est en regardant des épreuves de démonstration de disciplines paralympiques lors des championnats du monde d’athlétisme de Séville 1999, que j’ai eu un déclic !

 

Avez-vous trouvé facilement un club para-accueillant ?

T.A. J’ai eu la chance de tomber sur un club qui avait à cœur de s’adapter à mon handicap ! À ce moment-là, je ne suis pas encore en situation de cécité, je vois à peine un vingtième. Je me retrouve à faire des courses de haie sans voir les haies, à faire du saut en hauteur sans voir la barre, à faire du saut en longueur sans voir la planche, à faire du sprint sans voir les lignes du couloir… Le coach, qui est un ancien militaire, a eu l’idée d’appliquer des lattes fluorescentes sur le sol pour me guider ! Grâce à lui, j’ai pu concourir en valide ! Sauf qu’au bout de trois ans, je déménage et je ne retrouve pas de structure prête à m’accueillir.

 

Vous vous tournez alors pendant 6 ans vers le torball, un sport collectif spécialement conçu pour les déficients visuels. Puis vous rencontrez Arthémon Hatungimana, un entraîneur d’athlétisme qui accepte de vous prendre sous son aile et de vous trouver un guide pour courir. Comment vous êtes-vous adapté à cette nouvelle façon d’appréhender la discipline ?

T.A. C’était tout nouveau pour moi qui ai appris à courir seul ! Il a fallu que je réapprenne à courir avec mon guide, à me synchroniser avec lui, à être à l’écoute de mes propres sensations mais aussi des siennes, à me décentrer de moi-même… Ce n’était pas facile au début, d’autant que je cours avec plusieurs guides différents.

 

De là, vous remportez vos premières médailles importantes en Championnat de France et commencez à battre des records. C’est votre première médaille aux Mondiaux de Lyon 2013 qui vous vaut le surnom de « Guépard blanc ». Une consécration ?

T.A. C’est Arthémon qui m’a donné ce surnom flatteur la veille de la finale ! Lui seul était persuadé que j’avais l’étoffe pour ramener une médaille. Je l’ai vécu comme une reconnaissance de la part de mon coach. Pendant 11 ans, il m’a apporté beaucoup, sportivement et humainement. Un vrai mentor ! Depuis un an, j’ai un nouveau coach, mais nous sommes toujours amis. Il fait partie de ma famille !

 

Avec sept médailles d’or internationales au compteur, qu’est-ce que vos performances disent de vous ?

T.A. Cela montre que je suis quelqu’un de déterminé et de tenace, mais aussi à l’écoute, avec un côté perfectionniste, car je cherche toujours à m’améliorer.

 

Quels sont vos prochains défis sportifs ?

T.A. J’ai commencé ma préparation mi-août en vue des Jeux Paralympiques Paris 2024. Je fais partie d’un groupe de haut niveau, avec des objectifs sportifs très élevés et une grosse émulation. Tous les guides sont sur le pont. Tout le monde se tire vers le haut. On va entamer pas mal de stages de préparation afin d’être focus sur l’entraînement. On va partir à l’Île de la Réunion, en Martinique, à Tenerife et aux États-Unis pour nous préparer dans des conditions optimales. On est déjà qualifié, donc il ne nous reste plus qu’à nous donner à fond !

 

Dans la vie, vous êtes également conférencier. Vous abordez des thèmes liés au handicap et la performance, l’esprit d’équipe, la gestion de l’échec ou encore les changements brutaux dans une vie et la manière de rebondir. En vue des Jeux Paralympiques Paris 2024, quel est votre espoir en matière de handisport ?

T.A. Je vois les Jeux comme une sorte de catalyseur pour changer la perception du handicap et de la différence. Un peu comme la ligne de départ du changement. Dans notre société, la différence a besoin d’être valorisée car elle apporte beaucoup de richesse, humainement parlant. Mon handicap m’aide à appréhender la vie autrement ! Je milite pour qu’il y ait une meilleure accessibilité, notamment numérique, et qui sera utile pour le plus grand nombre. Peu de gens savent, par exemple, que les télécommandes ont été créées pour les paraplégiques et les SMS pour les personnes sourdes et malentendantes…

 

Vous faites également du rap et du stand-up. Comment vous voyez-vous dans 5 ou 10 ans ?

T.A. Ce sont des activités qui contribuent à mon équilibre et qui permettent de faire passer des messages. En parallèle, je suis un entrepreneur dans l’âme. J’aimerai lancer ma propre ligne de vêtements, continuer la création de jeux vidéo accessibles sur mobile, créer un club de céci-basket… À terme, j’aimerai faire du conseil en gestion de carrière dans l’athlétisme, car les jeunes à haut potentiel manquent d’accompagnement dans leur carrière sportive. J’aimerais les aider à franchir la marche professionnelle, que ce soit en para ou en valide.

Linda Taormina