Sandrine Martinet, ceinture noire de la résilience
Sandrine Martinet, ceinture noire de la résilience
credit_G.Picout
PORTRAIT 10/10. À la veille des Jeux Paralympiques Paris 2024, qui se dérouleront du 28 août au 8 septembre, Vies de Famille vous propose de découvrir le portrait de 10 athlètes handisport et paralympique s inspirants.
Lorsqu’on lui demande comment elle se définit, la championne paralympique de judo place au même niveau son rôle de mère de deux enfants, son métier de kinésithérapeute et son sport de haut niveau. Sur tous les fronts, Sandrine Martinet mène sa vie comme une battante et balaie son handicap d’un revers de main.
Vous avez 9 ans lorsque vous commencez le judo. Pourquoi avoir choisi ce sport ?
Sandrine Martinet. Enfant, je cherchais à canaliser mon énergie, et surtout ma colère, car j’étais moquée à l’école en raison de mon handicap visuel. Je suis atteinte d’une achromatopsie, une maladie génétique qui entraîne une non-vision des couleurs, une sensibilité à la lumière et une diminution importante de l’acuité visuelle. Je me suis mise au judo pour faire comme mes frères. J’ai tout de suite été séduite par cette discipline, bien plus accessible que les sports de balles. J’ai découvert non seulement un code moral, mais surtout une communauté qui a su m’accueillir comme j’étais. Ça m’a donné confiance en moi !
En rejoignant votre premier club, le SVLJ à Vincennes, vous pratiquez aux côtés des valides. C’est là que vous commencez la compétition…
S.M. En effet, dès le départ, je combats chez les valides. Ce n’est qu’à l’âge de 16 ans que je découvre le parajudo, lors d’une compétition en Allemagne. Je m’incline alors en finale contre la future championne paralympique, ce qui me donne beaucoup d’espoir pour la suite de ma carrière. Pour autant, je ne souhaite pas me lancer immédiatement. À ce moment-là, ma priorité, ce sont mes études.
Quelle est la différence entre le judo et le parajudo, notamment quand on est malvoyant ?
S.M. Il n’y en a pas vraiment, si ce n’est que l’on tient le kimono de l’adversaire dès le départ. Autrement, on a les mêmes temps de combat, les mêmes catégories, les mêmes sanctions, les mêmes marques. Je souligne que le judo est l’un des rares sports à être accessible à tous les types de handicaps. Le handicap visuel notamment, est pris en compte par le comité paralympique qui en a fait une filière de haut niveau.
2002 est une année charnière pour vous. Pourquoi ?
S.M. C’est justement l’année où je me lance en haut niveau. Mon ambition est alors de faire les Jeux d’Athènes, les premiers Jeux Paralympiques ouverts au judo féminin. C’est comme cela que je rejoins l’équipe de France. Cette même année, je rencontre Nicolas, mon futur mari, mais aussi Olivier Cugnon de Sévricourt, un autre athlète déficient visuel qui est en école de kiné. C’est lui qui m’apprend l’existence des écoles spécialisées pour le handicap visuel. Dès lors, j’effectue toute ma reconnaissance par rapport au handicap (RQTH). L’année suivante, j’entre à Guinot, un institut préparant au diplôme d’État de masseur-kinésithérapeute, un métier que j’adore.
Vous enchaînez avec les Jeux d’Athènes en 2004 et les Jeux de Pékin en 2008, où vous ramenez chaque fois une médaille d’argent. Qu’est-ce que ces performances disent de vous ?
S.M. Elles prouvent que j’ai un tempérament de guerrière, que je ne lâche jamais rien. Je me suis battue, au sens propre comme au sens figuré, pour arriver là où j’en suis. Ces médailles, comme celles qui ont suivi, sont une grande fierté !
En 2012, aux Jeux de Londres, vous partez dans l’idée de ramener la médaille d’or, mais une fracture de la malléole en plein combat pour la demi-finale vous fauche en pleine ascension. Comment l’avez-vous vécu ?
S.M. Sur le moment, l’abandon n’est pas une option et je poursuis le combat pendant 1min10. Mais la douleur est trop forte : je ne parviens plus à poser le pied au sol avec ma cheville fracturée, et mon adversaire prend le dessus. Je m’écroule à la fin du combat et quitte le tatami en larmes. Un moment extrêmement difficile à vivre. Heureusement, j’ai été très soutenue par mon entourage, en particulier par mon mari.
Quatre ans plus tard, à Rio, vous avez soif de revanche et décrochez l’or. Après cette victoire, vous hésitez à prendre votre retraite sportive. Qu’est-ce qui vous a motivé à continuer ?
S.M. La perspective de tenter les Jeux de Tokyo au Japon, le pays du judo, m’a convaincu de persévérer. Et puis, je n’étais pas prête à arrêter ma carrière sportive.
En 2021, vous devenez porte-drapeau de la délégation française et décrochez l’argent aux Jeux de Tokyo. Une double fierté ! Quels sont vos prochains défis sportifs ?
S.M. Je travaille dur pour être au niveau pour les Jeux de Paris 2024, d’autant que je ne suis plus numéro 1 mondial et que la concurrence est rude. Cela représente un vrai défi de me confronter à une opposition de plus en plus forte. Je suis ultra motivée !
Comment vous voyez-vous dans 5 ans ? Quels sont vos projets ?
S.M. Je me vois bien me former pour devenir kiné du sport. C’est une variante de mon métier qui exige une expertise auprès des sportifs de haut niveau. En parallèle, j’aimerai continuer à développer le parajudo dans les clubs et à donner des conférences sur le handicap et le sport-santé.
Linda Taormina
Tous les articles de notre série :
Portrait 1/10 : Arnaud Assoumani, l’athlète au bras d’or
Portrait 2/10 : Élodie Lorandi, une nageuse au caractère bien trempé
Portrait 3/10 : Sofyane Mehiaoui, à 300 % pour les Jeux Paralympiques
Portrait 4/10 : Flora Vautier, la rage de vaincre
Portrait 5/10 : En piste avec Dorian Foulon !
Portrait 6/10 : Gwladys Lemoussu, une volonté de fer
Portrait 7/10 : Timothée Adolphe, le guépard blanc
Portrait 8/10 : Nélia Barbosa vogue vers les Jeux Paralympiques
Portrait 9/10 : Laurent Chardard, à contre-courant
Portrait 10/10 : Sandrine Martinet, ceinture noire de la résilience